« Nous devons nous préparer à des moments difficiles »
Comment expliquez-vous le regain de tensions sur les marchés de dettes et d'actions aujourd'hui ?
Ce regain de tensions s'explique par plusieurs facteurs. D'une part, les investisseurs prennent conscience d'une dégradation de la conjoncture en Europe bien sûr, mais aussi au niveau mondial. D'autre part, ils s'inquiètent des besoins de financement des différents Etats du sud de l'Europe. Il apparaît que ces besoins seront plus élevés que prévu comme le suggèrent les demandes d'aides des régions espagnoles le week-end dernier. A cela s'ajoute l'hypothèque grecque : l'idée de plus en plus répandue parmi les élites européennes qu'une sortie du pays de la zone euro est possible renforce la méfiance des investisseurs. D'où une remontée de l'aversion au risque qui était nettement retombée après le sommet européen des 28 et 29 juin.
Quelles sont les mesures ou les annonces qui pourraient calmer le jeu ?
Difficile à dire. On se rend compte aujourd'hui que l'on est arrivé en Grèce à un tournant. Loin d'avoir sauvé le pays, on a jusqu'ici seulement accepté de le financer. Nous sommes maintenant au pied du mur. La troïka va sans doute constater que les mesures que le pays s'était engagé à prendre ne l'ont été qu'en partie. La question qui se pose est simple : va-t-on continuer malgré tout à financer la Grèce ou va-t-on décider de la faire sortir de l'euro ? Or ce qui se passe en Grèce influence la perception qu'ont les marchés du risque lié à la détention des dettes d' autres Etats européens vulnérables, l'Espagne et l'Italie en particulier. Le cas de l'Espagne est naturellement le plus inquiétant, car le pays est engagé sur une trajectoire qui ressemble à celle suivie par la Grèce.
C'est-à-dire...
On impose à l'Espagne un ajustement budgétaire trop rapide aboutissant à une contraction de l'activité insupportable. Les autorités européennes ne comprennent pas qu'une telle stratégie ne peut que susciter la défiance des marchés. Dans notre ouvrage (1), nous avons montré que les pays dont les politiques budgétaires ont été les plus restrictives de 2009 à 2011 sont aussi ceux où la croissance a le plus souffert. Or sans croissance, il ne peut y avoir de retour à l'équilibre des finances publiques.
Les leaders européens n'ont pas pris la vraie mesure de la crise alors ?
C'est ce qui les différencie des Américains. Aux Etats-Unis, la stratégie est de restaurer la croissance, avant d'opérer une correction budgétaire. Les Européens ont choisi une démarche rigoureusement inverse. Cette stratégie aurait pu réussir si la demande extérieure à la zone euro avait été dynamique ou si la demande privée avait pu rebondir, en réponse à la baisse des taux. Ce n'est pas le cas. L'ajustement budgétaire européen se fait par compression de la demande interne et donc aussi de la croissance. Le nouvel exécutif français semblait l'avoir compris en axant son discours sur le besoin de croissance. Au sommet européen de juin dernier, ce discours est malheureusement passé à la trappe. Certes, les leaders européens ont reconnu l'importance de la croissance. Mais, ils n'ont pas voulu décider ensemble de desserrer le rythme de la restriction budgétaire. Là est le problème. Nous devons nous préparer à des moments difficiles...
Propos recueillis par richard Hiault aupres de ANTON BRENDER CHEF ÉCONOMISTE DE DEXIA ASSET MANAGEMENT.